mercredi 29 avril 2015

Le Crawfish Boil, spécialité Louisianaise

On est en pleine saison des écrevisses, une des traditions culinaires louisianaises les plus importantes. D'environ Mars à Juin, on a souvent l'occasion de se délecter de ces bestioles  aussi appelés "Mudbugs", ou "petites bêtes de la boue". Ce sont des crustacés d'eau douce, qui ressemblent à des mini langoustines. On les trouve dans les ruisseaux, dans les marais, les fossés, ou les rizières. La Louisiane fournit 95% des écrevisses distribuées aux Etats-Unis, et 90% de celles distribuées dans le monde. Au printemps, elles sont au menu dans beaucoup de restaurants, et les gens achètent souvent leurs propres sacs d'écrevisses pour partager entre amis. Ambiance barbecue, mais au lieu du grill c'est une marmite géante!

Les voici dans leur bain pré-cuisson, à se débattre pour s'échapper de la glacière... Sous l'oeil bienveillant du chien...



On fait bouillir une grosse marmite d'eau, avec une grande passoire à l'intérieur, dans laquelle on ajoute un tas d'épices, de l'ail, des citrons, mais aussi du maïs, des saucisses, des pommes de terres, des champignons, et les écrevisses. 

  


Quand elles ont fini de bouillir, on soulève la passoire et on vide le tout sur une table. Tout le monde se rassemble autour et pioche dans le tas, à la main. La technique du dépiotage s'acquiert avec le temps. C'est un peu comme une crevette mais plus coriace. En gros, tenir un bout dans la main droite, l'autre bout dans la main gauche, tourner la tête pour la séparer du corps, soulever les premières grosses écailles de la queue (les pattes doivent partir avec), prendre la chair de la queue entre les dents, tirer doucement en poussant sur le bout avec le pouce, et normalement tout vient. Normalement... 
Quant à la tête, elle ne se mange pas, sauf si vous suivez les conseils des locaux qui vont diront que c'est la meilleure partie. Dans ce cas, prenez la tête, maintenant separée du corps, et aspirez le jus de cervelle. Un délice parait-il.



























Il est coutume d'arroser tout ça avec une bière locale infusée à la fraise "Abita Strawberry", une bière de saison, qui n'est disponible dans les magasins qu'à cette période de l'année. L'idée d'une bière à la fraise est peut-être un peu repoussante au début, mais en fait ça se marie bien avec les écrevisses très epicées!

 

Il faut compter entre 2 et 4 dollars par pound (1 pound = 1 livre) suivant la saison, sachant que chaque personne mange en moyenne entre 3 et 5 livres, pour ceux qui ont l'habitude de manger des écrevisses en tous cas. Moi, je dois me contenter d'une livre, car d'une part, il me faut encore trois plombes pour les dépioter, du coup je mange plus de patates et de saucisses que d'écrevisses, et en plus j'ai en général la bouche en feu après en avoir avalé cinq ou six. 

Pour la minute compassion, celle-là, ici en mode défense face à l'appareil photo, avait échappé au bain bouillant... Malheureusement, malgré ses pinces redoutables, je ne suis pas sûre que le face à face avec le chien lui ai été favorable.

 

mercredi 22 avril 2015

Petit dictionnaire Cajun

Si vous ne le saviez pas déjà, la Louisiane a la particularité d'avoir la seule communauté francophone des Etats-Unis: Les Cajuns.

"Vous entrez maintenant au pays des Alligators"

J'ai déjà expliqué ça dans un article précédent, mais pour resituer, les Cajuns sont les descendants des Acadiens, qui se sont retrouvés deportés du Nord-Est du Canada au milieu du 18ème siècle par les Anglais. Certains se sont installés en Louisiane, alors française, dans la région des marais. Et, les pauvres, ils ont bien dû s'adapter comme il fallait. Il ont dû trouver ce qui était bon à manger dans ce milieu pas très hospitalier, et ont developpé leur culture et leur cuisine à base d'ingrédients locaux, écrevisses, ragondin, ou, ce qu'ils ont dû prendre pour des gros lézards, les alligators, et puis un peu tout ce qui grouille dans les bayous. Parce que c'était en général des grandes familles pauvres, il ne s'agissait pas vraiment d'une cuisine raffinée mais rustique. Cuisine à ne pas confondre avec la cuisine créole, typique de la Nouvelle Orléans, avec ses influences françaises, espagnoles, africaines, latines, qui a developpé une cuisine avec des préparations plus complexes. De nos jours, les deux types de cuisine se sont un peu melangés, avec un peu les mêmes ingrédients utilisés, mais ça reste deux traditions différentes. Pour un aperçu de la cuisine cajun et créole, allez voir cet article)






Au delà de la cuisine, leur français est très rustique aussi. Imaginez un vieux français du 17ème siècle qui n'a pas beaucoup évolué depuis, au contraire du français métropolitain. Il faut s'accrocher un peu pour suivre une conversation. Ne comptez pas leur faire écrire ou lire du français pour aider à la communication, le français cajun est uniquement une langue orale. Et puis si vous connaissez l'anglais ça aide aussi parce qu'ils mélangent aisément les deux dans la même phrase...

Voilà quelques mots et expressions cajuns. Certains sont écrits de manière phonétique approximative puisque le peu de la langue qui s'est transmis c'est transmis uniquement oralement.

Il y a les mots qui sont exactement pareils, ou presque: 

A bon couer: de bon coeur
Begailler
Bon appetite!
Bon rien: un bon à rien
Bonne a rienne: une bonne à rien
Bonjour mes amis!
Boude: boudé, être en colère
Ca c'est bon!
C'est magnifique!
Chambre a bain
Chambre a coucher
Comme les vieux
Dit mon la verite!
Faires des commissions 
Hont: avoir honte
Il mouille: il pleut
J'ai gros couer: J'en ai gros sur le coeur / J'ai envie de pleurer
Je vais te passer une calotte! 
Joie de vivre
Laisser les bon temps rouler
Macaque: singe
Magazine: magasin
Mais, jamais dl'a vie!
Mes pattes: mes pieds
Mon cher
Motier foux: à moitié fou
Peunez: punaise (l'insecte) 
Quanne: couenne
Qui c'est q'ca?
Raconteur: quelqu'un qui raconte des histoires
Rahdoht: une histoire ennuyeuse qui n'en finit pas

Il y a ceux qui se devinent ou qui ressemblent à du français même s'ils ne veulent pas dire ce qu'on croirait qu'ils veulent dire:

Alors pas! Bien sûr que non!
Bebette : un mioche / une bestiole
Bebelle: poupée
Bigarno: escargot
Boug: garcon
Cahbin: toilettes
Caimon: alligator (lire Caïman bien sûr...)
Caisse: le derrière d'un camion ou d'un pick up
Canaille: sournois
Chadron: chardon
Co faire?: pourquoi?
Couyon: une personne ignorante, l'idiot du village
Chaoui: raton laveur
Chouchoot: un truc, un bidule
Costeau: un crabe mâle
Cro-cros: des vieilles grosses chaussures
Depouille: quelque chose ou quelqu'un qui ressemble à une épave
Des meurres: des mures
Down the bayou: au sud
Up the bayou: au nord
En bout des dents: manger quelque chose qu'on n'aime pas
Fah-yeu: feu
Fait pas une esquandal!: Fais pas tant de bruit!
Freesons: frissons / chair de poule
Fromis: fourmis
Gar ici: regarde ici, par ici
Garde soleil: un chapeau pour le soleil
Gratin: nourriture colée au fond d'une casserole
Grattons: couenne de porc frite (un de leur mets typique)
Make a bahbin: faire la moue
Make the misere: causer des problèmes
Make the veiller: passer la soirée avec des amis
Mal pris: etre coincé dans une mauvaise situation
Mamere ou Maw Maw: grand-mère

Neg: un terme d'affection pour un homme cajun
Negresse: un terme d'affection pour une femme cajun 
Papere ou Paw Paw: grand père (J'ai souvent entendu "Maw Maw" et "Paw Paw" utilisés par des amis Louisianais non cajun. Leur prononciation de "Paw Paw" ressemble beaucoup a notre "Papa".)
Par en sous: en dessous / sournois
Pass a mop: passer la serpillère (to mop= passer la serpillère en anglais)
Pass the vaccuum:  passer l'aspirateur (vaccuum=aspirateur en anglais)
Patrack: un vieux camion délabré
Peekon: épines
Peeshwank: petite fille
Pischouette: un avorton ou une petite personne
Possedé: un enfant espiègle (ou figurativement possédé par le démon)
Pouponer: se poudrer le visage / se faire jolie
Zirondelle: libellule

Et il y a mes expressions favorites:

Couche-couche: des céréales de mais cajun mangées avec du lait
Crapeau: une crotte de nez
Fais dodo: Va dormir / le nom pour une soirée avec de la danse traditionnelle cajun. L'expression vient de l'habitude qu'avaient les mères cadiennes d'emmener leurs jeunes enfants aux bals et de leur dire de s'endormir au son de la musique. Elles mettaient les enfants dans une pièce annexe et chantaient « Fais dodo Colas mon p'tit frère .... », puis allaient danser.
Grand beedé: un gros homme empoté
He's got the cabris: il a le slip coincé entre les fesses (élue meilleure expression de la liste)
Mouche a miel: une abeille
Oo Ye Yi!: Ça fait mal! / je suis triste!
Piss-au-lis: une histoire cajun qui dit que si tu cueilles des gerbes d'or tu pisseras au lit.
Poo-yi!: Ça pue!

Maison traditionnelle cajun

Malheureusement, vous avez en fait peu de chances d'entendre tout ça si vous visitez la Louisiane. Le français ne se parle pas vraiment à la Nouvelle-Orléans, ni dans la plupart des endroits touristiques. Vous aurez une petite chance si vous vous aventurez dans les villages perdus de la région cajun, à l'Ouest du Mississippi, entre Houma, Thibodaux, Lafayette et Opelousa. Mais encore faut-il s'addresser à la bonne personne. Après la seconde guerre mondiale, le système éducatif a interdit aux enfants cajuns de parler français en classe (alors que pour beaucoup c'était la seule langue parlée à la maison). Parler français était plutôt une honte car la langue était associée au caractère pauvre et campagnard des Cajuns. Par soucis d'intégration de nombreux parents à l'époque ont laissé faire, et le résultat est tel que les deux dernières générations ont majoritairement perdu la langue. La tendance s'inverse petit a petit de nos jours, avec les efforts fait pour sauver la langue. Mais beaucoup a été perdu et donc il faut faire la causette aux plus vieux! Entre autres, je vous conseille Norbert Leblanc, un vieux monsieur à la barbe blanche qui fait des tours en barque du Lac Martin, au Sud de Breaux Bridge. Si vous avez de la chance il vous racontera sa carrière passée de chasseur d'alligators et partagera avec vous un peu de son Clair de Lune* de sa réserve personelle... 

*La Moonshine est un alcool distillé souvent à 95° (distillation illicite). Le terme a été créé par les Moonrackers (contrebandiers) des Appalaches qui, clandestinement (« à la lumière de la Lune ») produisaient et distribuaient du whisky.